Petite histoire de la rue Augustin de Comet
Et si nos rues racontaient leur histoire…
Depuis le début du XVIIème siècle, les Comet, modestes bourgeois parlementaires, sont présents à Saint-Loubès sur le domaine de Lorient, au parc traversé par la Rouille et planté d’arbres centenaires.
Augustin Comet naît à Bordeaux le 21 février 1794 (3 Ventôse An II). Son père, Hyacinthe Comet, est alors médecin et l’un des fondateurs de l’hôpital St André. Il commence des études de droit à Toulouse, puis fait la campagne de Prusse dans les gardes d’honneur de Napoléon. Il a alors 19 ans et semble s’orienter vers une carrière politique. La famille Comet est ennoblie en 1818. (La France est redevenue une monarchie, dirigée par Louis XVIII). Le 3 novembre 1825, il est nommé adjoint au maire de Bordeaux. En 1831, il est propriétaire en titre du Journal de la Guienne, quotidien légitimiste qui deviendra La Guienne en 1835. Les aléas politiques, puis la situation financière du journal devenant critiques, A. de Comet prend ses distances avec la politique active. L’étude historique s’impose peu à peu à son esprit. D’autant qu’en 1837, sous l’impulsion de François Guizot, historien et ministre sous la monarchie de Juillet, a été créée à Bordeaux une commission départementale des monuments historiques.
En 1836, A. de Comet commence son œuvre avec l’appui de son ami d’enfance, Jules Delpit, izonnais, un des membres fondateurs de la société d’archéologie de Bordeaux. Il s’installe définitivement à Saint-Loubès en 1846. Il s’entoure de Léo Drouyn, également izonnais, archéologue, peintre dessinateur et graveur. Celui-ci offrira à la monographie trois petites gravures à l’eau forte. La monographie de la commune de Saint-Loubès est mise en vente début octobre 1869. Il en offre un exemplaire à la commune qui ne manifeste pas de véritable reconnaissance…sans doute suite aux différents qui l’opposait au curé Basse-Bigeon, lequel réussit à convaincre de la nécessaire démolition de l’église qui eut lieu finalement en 1869. L’académie des Sciences, Belles-lettres et Arts, lui décernera en 1870 une médaille d’or au titre des concours et prix spéciaux, pour « le mérite et l’utilité de cette étude historique ».
A. de Comet s’éteindra à son domicile de Lorient le 23 Août 1873. La lecture de la nécrologie, parue le 27 Août 1873 et écrite par son ami Jules Delpit, nous permet de mieux comprendre qui fut ce personnage, lui qui a dit : « mon ouvrage n’est pas de ceux qu’on lit, mais de ceux que l’on consulte ».
154 ans plus tard, moi, loubésienne depuis 60 ans, je l’ai consulté pour connaître l’origine du nom de cette rue, et je vous invite à en faire autant…
Journal la Gironde 27 août 1873 rubrique nécrologie
« Toutes les fois qu’un homme distingué est enlevé à ses concitoyens à quelques parties qu’il ait appartenu il est du devoir de la presse de s’associer au deuil de ses amis et d’en instruire le public. C’est à ce titre et au nom de la société des archives historiques de la Gironde que je viens rendre à la mémoire d’un vénéré collègue un tribut de reconnaissance et de regrets bien légitimes car M. Augustin de Comet aima et honora à ce point la société dont il a été un des collaborateurs les plus zélés, qu’il a dédié à ses collègues son beau livre sur l’histoire de la commune de Saint-Loubès.
Ce n’est pas ici le lieu de faire l’éloge de ce livre et d’apprécier littérairement l’œuvre de l’écrivain patient, habile et dévoué ; cependant qu’il me soit permis de dire que cette histoire d’une commune rurale permit à Monsieur de Comet d’apporter à l’édifice de notre histoire nationale une de ces pierres solides à l’aide desquelles il sera possible un jour de la reconstruire en entier. Le temps confirmera la récompense que l’Académie de Bordeaux a déjà décernée à ce résultat d’une sérieuse étude et d’une patriotique générosité.
Qu’il me soit aussi permis d’ajouter et cela avec un légitime orgueil que ce n’est pas seulement à titre de secrétaire de la Société des archives historiques que je prends la parole, la famille de Comet et la mienne ayant été unies d’une amitié plus que centenaire, une mutuelle sympathie avait cimenté entre les fils cette affection héréditaire et je m’enorgueillis hautement de l’amitié dont Monsieur de Comet m’honora. Monsieur de Augustin de Comet était doué de toutes les qualités de l’esprit et du cœur qui pouvaient, si les circonstances s’étaient présentées, faire de lui un homme illustre et hors ligne. Ces circonstances ne se sont pas présentées, ou plutôt la modestie de Monsieur de Comet le porta toujours à ne pas en profiter. Au lieu de songer à devenir illustre, il aima mieux travailler à être heureux, et ses vœux ont été remplis.
S’il y a des êtres prédestinés au malheur, il y en a d’autres dont le lot est de n’en jamais éprouver et Monsieur de Comet sut organiser sa vie de manière à ne pas contrarier l’influence du sort qui lui était échu. Sa santé et son âme étaient également robustes, mais il eut soin de ne les laisser jamais s’aventurer au milieu de ces luttes ardentes dans lesquelles succombent souvent les constitutions corporelles et morales le plus solidement trempées. La force de tempérament physique de Monsieur de Comet contribua en quelque sorte à la sérénité de ses mœurs. Toujours calme, parce qu’il était toujours sûr de lui, il joignait une bienveillance inaltérable à une politique exquise. C’était, dans la véritable acception du mot un des types les plus accomplis des hommes de cet ancien régime qui avait au moins pour eux deux qualités qui viennent réellement du cœur : le respect dans toutes les supériorités et la bienveillance pour toutes les infériorités. Presque toutes les circonstances de la vie de Monsieur de Comet peuvent se résumer dans ces mots : « le repos dans la force ». Du moins sa carrière entière a été fidèle à cette devise.
Satisfait du modeste patrimoine qu’il avait reçu de ses pères, il ne chercha ni à l’amoindrir, ni à l’augmenter, et il se tint toujours éloigné soit des jouissances fébriles, soit des spéculations hasardées. Membre assidu de la Société d’agriculture il avait restreint son domaine à une propriété d’agrément ; homme politique et religieux sincère et inébranlable dans ses convictions, il admettait la bonne foi dans les convictions opposées aux siennes ; disciple de l’école du respect, son amour pour le passé devait naturellement l’amener à étudier l’histoire ;mais il ne s’occupa ni de l’histoire des civilisations ni de celle d’un pays, ni même de celle d’une ville ; ses vœux n’allaient ni si loin, ni si haut ; il se borna à l’histoire de l’humble commune où il a vécu et où il devait mourir. Cette pensée modeste lui a procuré l’honneur d’être entré un des premiers dans la voie de la véritable Histoire ; car il est pu prendre pour épigraphe de son livre : humanos Mores nosce volenti sufficit una domus (une maison suffit pour connaître le comportement humain).
Monsieur de Comet s’était livré aux études historiques, non seulement par goût et pour être utile aux autres, mais surtout pour en retirer les fruits assurés que procure toujours l’étude : la satisfaction de soi-même et la sérénité de l’âme, c’est-à-dire un des éléments les plus nécessaires au bonheur. Il plaçait le bonheur individuel au-dessus des honneurs publics ; ne nous étonnons donc pas de n’avoir vu aucune décoration sur son cercueil ; nul n’en fut plus digne, nul ne les ambitionna moins. Monsieur de Comet pensait comme les sages que la vertu porte en elle-même sa véritable récompense : Ipsa virtus pretium sibi (La vertu elle-même vaut son prix). Le but que M. de Comet rechercha toujours, il l’a donc atteint en tout et les souffrances terribles de sa dernière maladie semblent n’être venues que pour faire constater par les autres et par lui-même la grandeur de son courage et la puissance de sa force morale.
Heureux aussi dans le choix d’une compagne, digne de lui, il n’a manqué à tant de bonheurs qu’une chose c’est d’avoir des enfants. C’est presque un malheur public de voir s’éteindre toute entière une race d’homme aussi fortement trempée et aussi vertueuse ; mais l’homme n’engendre pas seulement des enfants selon la chair, et l’exemple des qualités et des vertus de M. de Comet ne sera pas perdu ; cet exemple fructifiera dans le cœur de ceux qui le pleurent et j’ai voulu constater que dès aujourd’hui commence pour Monsieur Augustin de Comet la justice que lui rendent ses concitoyens et ses collègues de la société des archives historiques ».
Jules Delpit
Sources :
- Monographie de la commune de Saint-Loubès. A de COMET. Préface P. BARDOU. Collection dirigée par M.G Micberth. Monographie des villes et villages français. Le livre d’histoire (2002)
- Saint-Loubès en Entre-Deux-Mers : Pierre BARDOU – Documents girondins pour la classe au service de la culture populaire. Réalisé par le groupe girondin des études locales de l’enseignement public (1975)
- Rétro News & BNF
- Photo d’en-tête : Annuaire Mairie