Simone : petites et grandes histoires d’une centenaire
Je me souviens…
Saint-Loubès compte de plus en plus de centenaires, et c’est tout naturellement que nous avons souhaité rencontrer l’une d’entre eux. Laissez-nous vous présenter Simone, ou plutôt laissons-là nous raconter son village. Elle vient tout juste de fêter ses 100 ans en mars dernier. Il faut dire que c’est une histoire de famille car sa maman vécu jusqu’à 102 ans ! Originaire de Génissac, elle travaillait chez Mme Carteyron, qui fit don de la maison dans laquelle Simone voit le jour en 1923(1)…
Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école !
Simone se souvient de l’école, devenue par la suite le presbytère. « Il y avait trois classes, avec plus de filles que de garçons. On l’appelait l’école libre, filles et garçons étions mélangés ! » Parmi les maîtresses qui se sont succédé, l’une d’entre elles venait avec son chien. « Je me souviens, une fille avait marché sur la queue du chien, tout la classe a ri alors elle nous a punis et nous a envoyés voir le prêtre. Il a bien ri et nous a dit : « mes pauvres petites, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? ». Mais pour nous, c’était une punition ». Elle connaissait bien le prêtre car elle suivait le catéchisme et a fait ses communions.
À l’école, il y avait une bonne ambiance, tout le monde s’entendait bien. Le midi, « on revenait manger à la maison. Il y avait peut-être une cantine », Simone ne sait plus trop. Par contre, elle se souvient de Maud Linder : « Elle venait en charrette avec sa miss » nous dit-elle avec un grand sourire moqueur, car sa miss, c’était sa gouvernante ! Elle n’est pas venue bien longtemps, « mais elle était sympa ». Elle va à l’école jusqu’au certificat d’études et reste encore deux ans à Saint-Loubès, avant d’aller à Bordeaux suivre des cours de sténo. Quand l’école a fermé, c’est l’association « La famille rurale » qui s’est installée.
Et les loisirs dans tout ça ?
Se retrouver entre copains, c’est essentiel, et faire de la bicyclette, c’est un plaisir. Elle évoque une sortie vélo avec sa sœur jusque sur le bassin d’Arcachon, où elles prendront le bateau pour rejoindre le Cap Ferret avant de rentrer vaillamment à Saint-Loubès.
La vie commerciale très animée en ce temps-là !
« Quelquefois je m’amuse à penser aux commerces existants, on n’était pas nombreux, mais il y en avait beaucoup », surtout de l’alimentaire : « il y avait « une Aquitaine » alimentation, et à côté un boucher, puis un charcutier, un boulanger, et un autre encore… Il y avait une autre épicerie, après l’impasse, sur la route principale. À côté du marchand de lunettes actuel, c’était le marchand de tabac. Après il y avait l’hôtel, « là où s’est tenue la réception de mon mariage en 1947. » il y avait également une droguerie, « Ha, c’était très animé Saint-Loubès ». Devant la salle de la renaissance se trouvait une grande pâtisserie, et à côté un garage. Les gens se rencontraient au hasard de leurs courses, c’était très convivial, tout le monde se connaissait. »
Les années de guerre 39-45
Simone évoque cette période en disant : « On ne vivait pas dans l’opulence, il y avait des restrictions et on utilisait les tickets de pain, mais quand même il y avait de quoi manger. On n’a pas été trop marqués, hormis le bombardement de Cavernes(2) qui a été très violent ». Simone parle plusieurs fois de sa sœur qui travaillait à La Poste : « La pauvre elle avait beaucoup de mal à « supporter » les allemands ! »
Presque en secret, elle se souvient : « On faisait de l’abattage clandestin », c’est-à-dire que les moutons et autres volailles étaient tués « à la chapelle ». Il s’agit du prieuré(3) qui à l’époque appartenait à sa famille. Il servait de chais, on y faisait le vin, puisque toute la partie actuelle qui est le cimetière, était un vignoble. « Ma mère nous apprenait à faire les cavaillons »(4) La famille ne pouvant plus l’entretenir, la commune le rachète, vraisemblablement en 1980. À la libération, elle se souvient d’un certain nombre de femmes « rasées » en place publique, pour collaboration avec l’ennemi. « Les pauvres » dit-elle. Elle se rappelle également que ce fut une période de fêtes, car beaucoup de mariages ont eu lieu au retour des soldats.
Les vendanges, drôle d’endroit pour rencontrer son futur mari !
Simone participe aux vendanges et c’est là qu’elle rencontre son mari. Elles se faisaient dans la palus, sur la propriété de M. Brossard, un des bouchers de la commune. La fille de M. Brossard est mariée avec le fils du boulanger qui sera médecin à Saint-André-de-Cubzac.
La Gerbe Baude(5), fête de fin de vendanges était l’occasion de rencontres. Le père du futur mari est veuf, il vient d’Eymet (village de Dordogne), travaille dans les chemins de fer, et il vient d’être nommé chef de gare à Saint-Loubès. C’est chez Paquita, qui habite de l’autre côté de la ligne de chemin de fer avec sa grand -mère, qu’ils prennent leurs repas dans ce qui fait office de restaurant. Son futur mari part en Allemagne pour le STO (service de travail obligatoire) avec d’autres loubésiens, dont le futur résistant Henri Bertrand.
Le mariage, et le départ vers de nouveaux horizons
Elle se marie en 1947. C’est là que l’aventure loubésienne s’interrompt jusqu’aux 60 ans de Simone. En effet, son mari, lui aussi à la SNCF, est muté à la gare St Jean à Bordeaux. Elle travaille au journal Le courrier français jusqu’à la naissance de leur fille en 1949. Leur fils naît en 1951. Sa carrière de secrétaire à la maison familiale, rue de Cursol, s’achève à ses 60 ans, âge béni de la retraite. Son mari part à la retraite à 55 ans : « Il aura travaillé moins d’années, que d’années de retraite » dit-elle en souriant.
Le retour aux sources
Le retour à Saint-Loubès est donc naturel. Son mari construit la maison qu’elle occupe rue de Comet sur un terrain appartenant à la famille. Simone vit entourée et choyée par ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants qui vivent non loin d’elle. Elle occupe ses journées à faire des mots croisés, tricote, regarde la télé, et coule ainsi des jours heureux…
Par Coly et Lou
Annotations :
(1) À cette époque Monsieur Guérin est Maire de ce petit village de 2500 habitants environ
(2) Bombardement de Cavernes : le 7 août 1944, le bombardement par les alliés du dépôt de carburant fait une vingtaine de victimes et détruit une partie du village
(3) Le Prieuré a été vendu comme bien national en 1790, a différents acquéreurs jusqu’à la famille de Simone
(4) C’est la pioche du vigneron. Le cavaillon : c’est la bande de terre, d’environ 0,40m de large, que laisse la charrue vigneronne sur la ligne des ceps et qu’il faut ramener ensuite à l’aide de cet outil, dans l’intervalle entre les pieds ; d’où son nom
(5) À l’origine ce nom est donné à la fête de la fin des moissons
Quel beau parcours de vie !
Mes parents se sont mariés en 1948. Lui était de Saint-Loubès. Elle venait de Lormont, après être venue du Nord de la France et avoir vécu l’exode. Ils se sont rencontrés pendant les vendanges. Ils ont ensuite habité Le Basque, tout à fait au fond de l’impasse longeant le ruisseau de la Laurence..